Aussi haut que l'on soit placé... || Luxisia

Se justifier, se donner une légitimité, un droit, comme un honneur à sauvegarder, une raison d'être, de continuer. Dans ce cas-là, bien sûr, je peux dire sans me tromper que je cherche à me justifier, à justifier mes actes, mes raisons, ma vie. Qui n'a jamais essayé de se donner raison auprès des autres? Dans l'oreille d'un sourd, cela n'aurait aucun effet, ce sont les seules exceptions à la règle. Mais dans celle de la jeune femme, il y avait un effet, même si son avis était, de toute façon, trop ancré en elle. Un effet sur sa perception du monde, peut-être pas très positif. Je me tus. Les discours n'étant pas mon fort, et encore moins pour bousiller mes propres idées, autant me taire et ravaler tout ce qui me vrille si violemment les entrailles. Goût amer dans la bouche... Se réveiller et écouter mes propres conseils, ne pas s'arrêter de vivre pour Alizée, pour tout ceux qui me sont chers, et regarder devant soi au lieu de jouer le violé, en tant que violeur. En y réfléchissant, j'étais à la place du con en fait, à haïr ses crétins qui n'étaient, tout compte fait, qu'un reflet de moi-même et de la haine déplacée que j'avais toujours entretenue pour les "ennemis" de mon quartiers. Ferme-là, Kamsan, ferme-là. Accepte ton erreur maintenant, même sans l'avouer à voix haute. Voilà. Comme ça. Tu t'améliores, t'es pas encore foutus, bravo.

Je me levai. Léger vertige qui ne dura pas longtemps. Puis j'avançai vers Luxi, me mis devant elle, comme si je ne savais pas qu'elle allait à coup sûr se mettre à hurler de terreur, et lui pris les mains, doucement et fermement à la fois, mais sans aucune violence. Puis je lui relevai le visage du bout des doigts, comme si elle pouvait me regarder en face, et essuyai du pouce une larme qui coulait sans un bruit de l'un de ses yeux morts. Il fallait la secouer, l'aider peut-être, se dire que c'est pour s'occuper la vie, se cacher qu'on a pitié et sauvegarder un amour-propre blanc comme neige - entre guillemets...

"On est tous des gosses. Il y a toujours à apprendre, pour tout le monde. Alors apprends au lieu de te lamenter, fais face au monde, oublie-les et vis au lieu de t'enfoncer. Regarde, en fait, il suffit que tu me supportes, et tu supporteras tous les hommes du monde...

Réplique idiote et innocente, mais empreinte d'une réalité qu'elle n'imaginait sûrement même pas. J'étais sérieux, je ne pouvais que l'être, j'avais retrouvé un sens à la réalité, une certitude que ce n'était plus un gros cauchemar. Une pensée pour tout ce que j'avais vécu avant d'être le moi actuel... Supporte-moi, et comme je suis l'un des pires du genre, tu supporteras encore mieux les autres...

[Comment ça, il te juge pas? Il fait que ça depuis le début xD]

Bon, ça allait mieux. Elle se calmait à vue d'oeil, malgré ma proximité, c'était bien, très bien même. Il n'y aurait pas trop de problèmes par la suite, quand je lui referais le coup, un peu plus fortement à chaque fois. Tant qu'elle reste pas choquée des heures, rien n'est foutu... Elle me tira la langue. Oui, ça allait mieux... Mine vexée, comme si... Pourtant, j'étais on ne peut plus sérieux! S'arrêter au contact "public" et à la proximité, ce n'est pas suffisant, à mon avis. Il faut renouer avec tout ce qui a été perdu. Surtout si ç'avait été sa première fois, surtout! Ah, il faut toujours connaître ça en positif, sinon, on n'a pas de vie! U.U, d'accord, je sors. Plus sérieusement, la laisser avec une haine de l'homme, que ce soit à proximité ou plus intimement, n'était pas dans mes projets, et si ça pouvait devenir profitable pour tout le monde (et surtout moi, héhé), c'est clair que je n'allais pas laisser passer ça. Elle se laissa aller à son tour contre le mur, un peu plus doucement que moi il faut l'avouer, et se perdit un instant dans ses pensées. A quoi je ressemblais? Quelle question. Depuis le temps que je me côtoie, je ne saurais comment me décrire... Une gueule d'ange, un air démoniaque, un style décalé, avec du noir partout, cheveux, âme, hum... J'optais pour la solution la plus simple.

"Je crois que j'ai l'air humain. Mais si tu veux savoir à quoi je ressemble plus précisément, il va falloir te débrouiller, tu dois bien savoir faire ça. Pour les couleurs, je sais pas si ça t'aidera beaucoup à y voir plus clair...

Haha. Quel ironie, en cherchant bien, on pourrait trouver une tonne d'expression avec la vue. C'est fou ce que ça doit être chiant de se taper des cons pour débiter ça à longueur de journée. Moi-même, je n'avais pas le courage de chercher, là. Et pour la tête... elle devait bien pouvoir apprendre les traits, les particularités des visages, avec l'habitude. Et si elle ne se sentait pas capable, elle devrait attendre! Et oui, je suis cruel...

L'imitation laissait encore à désirer. Si elle voulait avoir l'air d'être vexée, elle perdait toute crédibilité en faisant semblant de bouder, tournée de son côté, comme une merdeuse de 5ans. Je souris. Et oui, je sais, je suis un vilain méchant, un crétin imbécile qui dit n'importe quoi, qui embête tout le monde et qui le fait exprès d'ailleurs, mais dans le n'importe quoi, dans les remarques plus ou moins violentes que je débite, on retrouve toujours une réalité. La vérité sort de la bouche des enfants. Je me penchai un peu vers elle, gentil petit agneau innocent, et me mis à rire, d'un rire qui se voulait démoniaque mais qui, évidemment, n'était pas du tout crédible. Comme elle en train de bouder quoi.

"Héhé, je suis un gros méchant, et je vais même te dire, si ça se trouve, je suis pas humain. J'ai de grandes yeux, de grands pieds, de grandes dents, et je vais te manger mon enfant! Haha, tu ne m'échapperas pas, parce que tu sais quoi? Tu te casserais le petit orteil sur la table basse que j'ai installée exprès, tu glisserais par terre, je cognerais la tête contre le bord du lavabo et je pourrais t'avaler toute crue!

Je regardai son dos. Parler à un dos, j'ai toujours aimé ça... Ironie bien sûr. Enfin, c'était un bon jeu. Parier sur le temps qu'elle mettra avant d'exploser... quelques minutes? Pas longtemps en tout cas. Le temps qu'elle étouffe, qu'elle soit trop crispée pour répondre quoi que ce soit, et ce sera bon.

"Si pour l'instant c'est hors de question, tu attendras. On ne sait jamais, ça retarde l'échéance. Si tu me trouves moche - à ta manière -, alors je serais moche et con pour toi. Ça passe mal...

Je souris. N'empêche, c'était bien vrai ça. Moche et con... et pourquoi pas vieux! Allez. Compte à rebours? Cinq, quatre, trois, deux, un...

Sourire. Elle se retenait! Elle ne craqua pas comme je m'y attendais, même si elle était assez hilare. Raté! J'ai perdu. Je fis la moue et me rasseyais normalement. Son air moqueur, même sans le regard, avait de quoi se sentir débile. Ça y est, d'ailleurs, c'est bon, je me sens débile. Mais ses mots rattrapèrent ça tout de suite. Plutôt beau, côté bad boy qui me va bien... C'est si agréable! Même si elle ne pouvait pas voir la réalité. Beau, peut-être, rares étaient ceux qui me l'avait dit. Et bad boy, c'était une sensation, pas un effet de ma gueule. Je n'étais pas plus bad boy en apparence que mes frères, étudiants en comptabilité et en littérature... Si c'est pas malheureux. Mais j'avais ce que certains appellent aura, cette chose qui nous entoure et qui, parait-il, correspond à notre âme, notre moi profond. Cette aura qui permet aux autres de reculer parce qu'ils sentent que parfois, je suis un véritable danger, et qui donne un faux air de bad boy à des gueules d'ange. Je souris. Ne jamais se fier aux apparences.

"C'est gentil ça. Parce qu'à mon avis, si je dois être bête et chiant, c'est de manière volontaire. Pas comme la connerie qui, elle, nous tient au corps toute notre vie sans qu'on l'ai choisie... Et n'empêche. Tu as beau me prendre pour un être désagréable et crétin, tu m'as bien pris dans tes bras...

Je souris de plus belle et fermai les yeux. On est tous le con de quelqu'un... Quelle belle expression. J'aime. De qui pouvait-elle être le con, elle? Une question parmi tant d'autres en fait. On ne se connaissait pas, enfin, on ne se connaissait qu'à travers ce qu'on s'était dit. C'est-à-dire, pas grande chose dans une vie humaine. En une vingtaine d'années, pour elle comme pour moi, on avait pu vivre cent fois plus... Ça attendrait. Tout comme son idée de mon physique. Ce n'était pas me flatter qui allait me faire changer d'avis, loin de là!

"En tout cas, ce plutôt beau, avec un côté bad boy, tu le connaitras plus tard. C'est mieux de connaître les gens pour ce qu'il y a à l'intérieur, et tant mieux si ça reste comme ça. Même si tu dois voir le mauvais côté.

Elle est mignonne, à tenter de se justifier comme ça. Mais un geste reste un geste. Et pour que quelqu'un, n'importe qui, ait le cran de me prendre dans ses bras de plein gré, c'est bien parce que je compte un peu pour cette personne. D'ailleurs, ces gestes sympathiques, j'aime ça. Peut-être le manque d'un amour vrai que je n'irais pas chercher de force, et qui en deviendrait faux... C'est triste la vie, d'une certaine manière. Mais voilà, moi, je n'étais pas le genre à aller chercher ce qui ne va pas dans ma vie. Sourire en coin.

"On ne fait pas un câlin aux gens qu'on aime pas un minimum. Si tu me trouvais juste chiant et bête, si tu ne voyais en moi qu'un salaud qui essaye de se racheter, tu n'aurais pas surmonté toutes tes angoisses pour une étreinte. L'envie ne suffit pas pour ce genre de chose, on peut avoir envie d'enlacer le monde entier sans pour autant offrir ses bras au premier venu...

Piégée ma belle. Quand je le veux, je peux pousser ma réflexion très bien. D'ailleurs... tout ce que je dis là était impulsif, et en y réfléchissant un peu plus, je n'avais pas tord. Voilà un bon exemple des moments où on se dit : bon Dieu que je m'aime. Je la regardai. Longuement. Comment la trouvais-je? Bonne question. Je ne m'étais pas encore arrêté sur son physique. Il faut dire que je n'ai tendance à le faire que quand les filles jouent sur cet atout - qui n'en est pas forcément un, d'ailleurs... Puis je me relaissai tomber contre mon mur, les yeux fermés.

"J'ai vu des nanas bien plus sexy que toi. J'en ai aussi vues des franchement plus moches. Tu as au moins le mérite d'être naturelle, pas une de ces putes de camions volés qu'on croise de plus en plus. Et t'es plutôt belle oui. Mais ne pense pas que je te dis ça parce que je t'aime bien, j'en avais envie, c'est tout!

Je souris. Parfaite reprise de sa phrase. Je n'allais pas mentir. Je l'aimais bien, parce qu'elle essuyais toutes mes remarques avec ardeurs, parce qu'elle croyait en ce qu'elle pensait, mais en continuant d'apprendre de ce qu'on lui dit. Les filles comme ça se faisaient rares. Et je n'allais pas dire que moi-même, l'apprenais beaucoup, par choix, mais en tout cas, j'aimais bien cette philosophie. Je fermai les yeux et me laissai glisser dans un noir calme. Soupirs.